Un élu récalcitrant à Rayssac en 1698
Il est courant de nos jours
qu’après une élection il y ait des candidats battus
qui protestent et crient à l’injustice, se pensant
victimes de fraude ou de maneuvres frauduleuses.
Aujourd’hui nous verrons le cas
d’un élu qui proteste et estime que son élection
est le fruit d’une machination.
Mais tout d’abord faisons un petit rappel du fonctionnement des élections (1) au 17° siècle:
Les consuls administrent la
communauté (la commune), ils sont de nombre variable mais au
minimum deux. A Janes (nom à l’époque de la commune
de Rayssac) ils sont deux : le premier consul (le maire) et le second
consul (l’équivalent de notre premier adjoint)
Il y a une particularité
à Janes, la commune est divisée en deux partie : la bande
haute et la bande basse, chacune est représentée par un
consul. C’est normalement la bande haute qui est
représentée par le premier consul
La charge de consul est annuelle et on
ne peut être consul deux années de suite. Donc, tous les
ans chaque consul propose au conseil politique (le conseil municipal)
deux noms pour lui succéder. Ces propositions sont
validées par le conseil.
Ensuite la liste est envoyée au
seigneur du lieu ou, dans le cas de Janes dont le seigneur est le roi,
au représentant du roi à Castres. Celui-ci choisit deux
noms en rayant les deux autres. La plupart du temps
l’autorité choisit les premiers noms. Il est rarissime que
ce soit des noms en seconde position qui soient choisis, c’est
alors le signe de mauvais rapports entre la commune et son seigneur
Une fois les consuls «
élus », ils se rendent à Castres pour prêter
serment, tête nue et à genoux.
L’affaire (2)
Le 13 novembre 1697, les deux consuls
sortants Sers de Castanet et Barrau de Digounès proposent au
conseil de communauté quatre noms.
Sers propose pour la bande haute : Pierre Resseguier de l’Estadivié et Barthélémy Moutou de Graillac
Et Barrau pour la bande basse : François Biau de la Vigarié et Pierre Bousquet du Cros.
Un document postérieur nous
apprend que ce sont des gens considérés comme capables et
estimés sur la commune.
La proposition des consuls est acceptée à l’unanimité par le conseil
Tout devrait se passer comme chaque année, sans aucun problème.
Et pourtant ….
Le 25 avril 1698 Pierre Combes paysan
de Pouzats (Massuguiès) se présente chez notaire
Enjalbert de Saint Jean de Janes pour qu’il transcrive un acte de
protestation.
Pierre Combes n’est pas content,
il s’est retrouvé candidat sur une commune où il ne
possède rien à 7 km de son domicile, alors
qu’il a charge son père âgé et qu’il
est membre de la milice communale
Le 9 mars il a été
condamné à 25 livres d’amende s’il ne
prête pas le serment de consul.
Le 21 la peine est aggravée, c’est 50 livres
Le 22 avril on menace de saisir les biens du père de Pierre Combes
Le 29 l’amende est réduite à 25 livres si il s’exécute, ce qu’il fait
Que s’est-il passé ?
Tout vient du curé de Rayssac,
Pierre BERMOND. Le 14 janvier il est intervenu pour enlever
François BIAU et Pierre BOUSQUET ses cousins germains et faire
nommer à leur place Pierre BARDY pauvre métayer (il
n’a aucun bien propre, seule sa femme a quelques maigres biens
sur la commune) et Pierre COMBES, paysans pauvres n'y connaissant
rien.
Officiellement dans lieux où il
y a beaucoup de nouveaux convertis (des protestants) l’intendant
de Languedoc, de Basville entend superviser les nominations. Il faut
absolument que les consuls soient des « anciens catholiques
» pour faire appliquer les lois contre les convertis qui
négligeraient de fréquenter les messes ou d’envoyer
leurs enfants au catéchisme
Le curé BERMOND s’est
donc arrangé avec Sers : en échange du retrait des
noms de ses cousins le curé laisse à Sers qui est un
converti le soin de nommer des gens particulièrement
incompétents pour qu’on ait « des consuls incapables
de rien faire contre lui (Sers) et ses semblables » dans
l’application des ordres de l’intendant
On a donc suggéré
à l’intendant les noms de Bardy et Combes comme
étant des anciens catholiques sûrs.
Pourquoi ?
Ce type d’affaire peut sembler
impossible. Les curés n’ont d’habitude aucun moyen
d’influer sur les conseils municipaux ni sur les nominations de
consuls.
Alors, pourquoi le curé a-t-il ainsi agi ?
La charge de consul implique bien
sûr des avantages (exemption d’impôt pendant un an,
ses fils ne peuvent être soldats, etc..) mais ils sont entre
autres responsables sur leurs biens propres de la rentrée des
impôts. Or, depuis 1693 la région traverse une très
grave crise. La famine de 1693-94 a fait mourir près de 15% de
la population, mis sur les routes une autre partie. Ceux qui restent
sont dans une situation catastrophique, beaucoup sont réduits
à la mendicité ou tout au moins dépendent de la
charité des voisins, de la famille ou de subsides de la commune.
Gérer la commune dans ces conditions, et surtout faire renter
les impôts est une tâche quasi insurmontable. Ca
semble être une explication suffisante pour que le curé
fasse une petit quelque chose pour ses deux cousins embarqués
dans une affaire qui, ne peut que leur apporter des ennuis.
Il nous reste peu de procès
verbaux d’élection de Rayssac après 1693. Il semble
que les problèmes vont recommencer après la crise de
1709. L’administration se plaint en 1715 de ne plus recevoir de
liste de candidats depuis plusieurs années pour les communes de
Rayssac, Montcouyoul et Arifat..
La perte des
délibérations municipales de Rayssac pour l’Ancien
régime nous empêche d’en savoir plus
Cette affaire est exceptionnelle, nous
avons consulté de très nombreux procès verbaux
d’élection, nous n’avons jamais vu d’autre
affaire de ce genre. On trouve parfois des personnes proposées au
consulat qui demandent, de manière justifiée, a
être exemptés car faisant partie de catégories non
éligibles mais ça se passe de manière
régulière.
Notes
1 Le mot élection signifie au
départ « choix », élire quelqu’un
c’est le choisir. C’est ainsi qu’il faut prendre le
mot
élection dans les textes de l’époque.
2 Cette histoire nous est connue par deux documents :
La protestation de Pierre Combes du 25 avril 1698 devant le notaire Enjalbert. (cote 1J/72 dossier
Combes) Cet
acte n’a pas été inséré dans les
registres du notaire, il est conservé en feuille volante dans un
important fonds d’archive
privé versé il y a une centaine d’années aux
Archives départementales.
Le dossier des élections 1698 de Rayssac contenu dans la liasse B 120 des archives de la
sénéchaussée de Castres. Mais ce dossier ne contient que deux ordonnances des 21 et 29 avril
1698 condamnant Pierre Combes à une amende.