Le meurtre du vicomte de Paulin en 1616 d’après des documents inédits.

 

Le triple meurtre qui a eu lieu en 1616 au château de Reyniès à une douzaine de km au sud de Montauban est bien connu. Malheureusement nous ne disposions jusqu’ici au sujet de cette affaire que d’une seule source écrite 40 ou 45 ans après les faits et d’aucun document contemporain. Et c’est d’autant plus regrettable que les personnes en cause appartiennent à des familles notables de la région et même pour deux d’entre elles font partie des plus hautes personnalités de l’Albigeois

Qui sont ces quatre personnages ?

Le premier est Marquis (ou Marc) de Rabastens vicomte de Paulin, baron de Cestayrols, Mailloc, Durfort, etc.

 Il est né vers 1588. Il succède comme vicomte de Paulin vers 1600 à son grand oncle Bertrand de Rabastens grand chef de guerre protestant (le vicomte de Paulin des chroniques de l’époque). Il était le petit-fils de Philippe de Rabastens autre capitaine huguenot connu sous le nom de baron de Paulin et le fils de Samuel de Rabastens seigneur de Mailloc mort dans un combat en 1589. Il fait donc partie d’une famille d’hommes d’action.

Il épouse le 29 juin 1608 Madeleine de Vignolles, fille d’un premier président du Parlement de Toulouse. 

Il teste le 24 juin 1616, trois semaines avant sa mort à l’âge de 28 ans. Avait-il pressenti que sa vie allait prendre un tour dangereux ? Son épouse se battra judiciairement pour récupérer la vicomté de Paulin qu’elle transmettra à son second mari Charles de la Tour de Gouvernet qu’elle épouse en 1624.

Le deuxième est Antoine de Castelpers, baron de Panat (c’est sous ce nom qu’il est désigné dans cette affaire) et baron de Montredon. Fils de Jean de Castelpers et d’Anne de Lévis, il a hérité de la coseigneurie de Montredon en 1598.  Il épouse Anne de Corneillan en 1608. C’est lui aussi un homme d’action. A partir de 1612 il se signale par ses exactions dans la région de Lombers dont il s’empare le 16 mars 1616 qu’il évacue vers la fin avril. Sa dernière apparition publique est le 26 mars 1616 lors de la fameuse affaire du pont de Lafenasse. L’histoire est bien connue par les mémoires de Gaches: deux petites troupes, l’une menée par le baron de Panat, l’autre par Jacques de Toulouse Lautrec sénéchal de Castres se rencontrent sur le pont. Suite à une provocation, Jacques de Toulouse Lautrec est massacré avec sa troupe.

Le troisième personnage est Marguerite de Castelpers la sœur d'Antoine. Elle est mariée le 1 mai 1611 (CM chez M° Jacques Agret notaire de Castres) au quatrième :

Pierre de la Tour, baron de Reyniès et de Moulis, seigneur de Bonrepos, chevalier des ordres du roi et gentilhomme de sa chambre. Il a fait un premier mariage en 1603 avec Julie de Pons

Et c’est lui qui dans la nuit du 9 au 10 juillet 1616 va tuer les trois premiers dans son château de Reyniès

Le texte de Tallemant des Réaux.

Or, jusqu’ici cette affaire de meurtre n’était connue que par une source unique, écrite plus de 40 ans après les faits et publiée pour la première fois seulement en 1834. En effet Tallemant des Réaux consacre un chapitre de ses Historiettes à la vie de Madame de Gironde, Anne de Latour fille du couple Latour Castelpers. En introduction à son récit, il raconte les circonstances de la mort de sa mère (ainsi qu’une petite note très intéressante sur David de Castelpers  voir en annexe).

Voici donc ce texte

Madame de Reniez étoit de la maison de Castelpers en Languedoc, soeur du baron de Panat,… Avant que d'être mariée au baron de Reniez, elle étoit engagée d'inclination avec le vicomte de Paulin. Cette amourette dura après qu'elle fut mariée, et le baron de Panat étoit le confident de leurs amours. Ils en vinrent si avant qu'ils se firent une promesse de mariage réciproque, par laquelle ils se promettoient de s'épouser en cas de viduité : « En foi de quoi, disoient-ils, nous avons consommé le mariage. » Un tailleur rendoit les lettres du galant et lui en apportoit réponse. Par l'entremise de cet homme, ces amants se virent plusieurs fois, tantôt dans le village de Reniez même, tantôt ailleurs, où le vicomte venoit toujours déguisé. Un jour ils se virent dans le château même de Reniez, presque aux yeux du mari. Madame de Reniez avoit feint d'être incommodée, et s'étoit fait ordonner le bain, et le vicomte se mit dans la cuve qu'on lui apporta. Enfin, ils en firent tant que le mari sut toute l'histoire, et, pour les attraper, il fit semblant de partir pour un assez long voyage; puis, revenant sur ses pas, il entra dans la chambre de sa femme, et trouva le vicomte couché avec elle. Il le tua de sa propre main, non sans quelque résistance, car il prit son épée; mais le baron avoit deux valets avec lui. Le baron de Panat, qui couchoit au-dessus, accourut aux cris de sa soeur, et fut tué à la porte de la chambre. Pour la femme, elle se cacha sous le lit, tenant entre ses bras une fille de trois à quatre ans, qu'elle avoit eue du baron, son mari. Il lui fit arracher cette enfant, et après la fit tuer par ses valets; elle se défendit du mieux qu'elle put, et eut les doigts tout coupés. Le baron de Reniez eut son abolition.

C’est un texte qui malgré sa petite taille est très dense. Il semble détaillé sur certains points, laisse des ombres ailleurs.  Mais il n’y avait pas d’autres sources disponibles.

Les archives du château de Reyniès (toujours habité par les descendants de Pierre de Latour) ont fait l’objet en 2001 d’un inventaire imprimé. Or, aucun document relatif à cette affaire n’est conservé. Une  notice historique accompagne cet inventaire. Le triple meurtre est bien entendu mentionné, c’est l’évènement principal dans l’histoire du château mais la relation qui en est faite est un décalque du texte de Tallemant des Réaux

De nouveaux documents voient le jour.

Telle était la connaissance de cette affaire jusqu’à ce qu’un groupe de passionnés d’histoire locale ait eu la possibilité il y a deux ans d’accéder à un très riche fonds d’archives privées qui contenait entre autre une partie des archives des vicomtes des Paulin Rabastens. Parmi ces trésors, nous avons eu la grande surprise de trouver  un grand nombre de documents concernant le meurtre de Marquis de Rabastens.

Désormais, on pourrait se passer du texte de Tallemant des Réaux encore que celui-ci contienne des informations qu’il est seul à donner.

Le début de l’enquête

Le 10 juillet 1616, Isaac de Fages lieutenant principal en la judicature de Villelongue pour le siège royal de Corbarieu voit arriver chez lui à Montauban Jean Malfié substitut du procureur du roi du siège de Corbarieu. Malfié lui apprend que plusieurs meurtres ont été commis au château de Reyniès (à trois km de Corbarieu). Ils partent tous les deux immédiatement et en passant par Corbarieu, ils prennent avec eux François Salitor notaire du lieu pour qu’il leur serve de greffier. Ils arrivent à Reyniès.

« Nous serions transporté au chasteau dudit lieu et dans une chambre d’icelluy ou nous aurions trouvé à l’entrée de la porte ung corps mort couvert d’ung linceul tout en chemise ayant sur soi divers coups et blessures. Et passant plus avant nous serions allés à un garde robe joignant lad. Chambre où nous aurions trouvé un autre corps mort tout en chemise couvert d’ung autre linceul ayant aussi divers coups et de là serions montés en une chambre haulte dud. chasteau au courroir de laquelle sur l’entrée de lad. chambre aurions trouvé autre corps mort navré de pluzieurs coups tout en chemise et de même couvert d’un linceul. »

L’identification des victimes.

Il faut d’abord procéder à l’identification des victimes. Pour cela, le juge choisit dix personnes parmi la foule qui se presse aux abords. Sept sont des montalbanais : cinq marchands, un bourgeois et un hôte. Trois sont de Villemur : un notaire, un praticien et un avocat. Tous prêtent serment et chacun va identifier les victimes qu’il reconnaît.

Neuf vont reconnaître le vicomte de Paulin, six le baron de Panat et seulement quatre la dame de Reyniès. Il ne faut pas s‘en étonner, les deux premières victimes étaient des personnalités bien connues dans la région et le vicomte de Paulin avait ses habitudes à Montauban.

Ensuite le juge repère dans l’assistance un certain Pierre Borie chirurgien de Fronton (à 9 km au sud de Reyniès). Que fait-il là ? Nous le saurons plus tard. Borie est chargé après avoir prêté serment de « faire bonne et vraye vizitte et rellation des coups et blessures desdits corps morts » Il est chargé  d’aller ensuite « faire visitte et rellation des blessures et coups qu’on dict estre sur la personne dudict sr de Reyniès »

Le coffret

Le juge demande que soit procédé dans le château à une recherche « pour voir s’il se peut trouver aulcung papier ou autre acte desquels on puisse tenir preuve ».

Le juge fait ouvrir « ung pettit coffret d’ébene couvert d’ouvrage d’argent trouvé souls ung mathelas d’ung lict d’une chambre basse auquel lieu ledict coffret aurait esté caché par filhe de chambre dudict chasteau du mandemant de lad. Dame comme il nous aurait esté attesté»

On y trouve plusieurs choses :

-   six lettres écrites « en lettre ytalienne ».

-    une promesse de mariage signée Paulin et double M de Panat datée du 9 fevrier 1616, « estant de teneur :Nous soubsignés Marguerite de Castelpers et marquis de Rabastens, etc »

-    un petit portrait en effigie représentant le sieur de Paulin.

-     Un papier « où il y a quelques noms espagnols avec deux floquets »

Les six lettres sont lues et le juge en donne à chaque fois un court extrait:

« Je désirerais avec un extrême passion de vous voir,etc »

« Puis qu’il vous plaict je vous yrai dire adieu, etc »

 « Si j’eusse heu si peu d’amour, etc »

« Je ne saurais que respondre, etc »

« Je souffre ne vous voyant pas, etc »

« Ma chère ame, je suis en desespoir, etc »

Le coffret et son contenu sont mis sous scellés

Interrogatoires

Le juge va interroger 6 témoins dans la journée du 10 juillet :

Anne de La Tour, 35 ans, épouse de Jean de la Combe.

Est-elle parente de Jean de la Tour ? Il ne le semble pas, elle n’apparaît pas dans les généalogies existantes de la famille des seigneurs de Reyniès. En tout cas, c’est une familière du château.

Catherine Doumayrou, 20 ans, originaire de Coupiac (Rouergue), femme de chambre de Mme de Reyniès.

Jean Carrière, 32 ans, originaire de Murasson (Rouergue), valet du baron de Panat.

Claude Denou, 40ans, habitant de Reyniès, familier du château sans qu’on puisse dire ce qu’il y faisait.

Arnaud Houdin, 50 ans, marchand de Villemur.

David Bezes, 32ans, natif de Castres.

De plus, le 13 juillet, va être entendu Pierre Sauveron, 32 ans, c’est un ancien domestique qui a quitté le château deux mois plus tôt. Son témoignage peu être sujet à caution, nous verrons pourquoi.

Les témoignages vont nous éclairer sur trois points

-         la situation au château dans  les mois précédant les meurtres.

-     ce qui s’est passé dans la soirée.

-     les évènements de la nuit.

Sur les deux premiers points, les témoignages sont concordants et se complètent. Une synthèse des dépositions suffira. Pour le troisième point il sera nécessaire de prendre les témoignages un par un.

1° Les quelques mois qui ont précédé le drame.

Les témoignages se complètent et concordent.

L’ambiance au château

Elle est particulièrement orageuse.

Madame de Reyniès « mesprisoit grandement » son mari,  lui tenant en permanence des « propos fascheux et injurieux »

Parmi les termes injurieux revient le mot « escarvian ». Il ne nous pas été possible de retrouver le sens de ce mot.

«Lad. dame mettoit ordinairement des parolles aigues et injurieuzes de sorte que led. sieur de étoit constrainct de s’absenter d’elle de quoi lad. dame se mocquoit »

« Despuis long temps lad. dame avoit pris a grand haine led. sieur de Reynies son mary de sorte qu’elle ne le vouloit poinct voir »

« Lors que led sieur de Reynies se vouloit accoster d'elle s'enfuyoit »

« Lors que led. seigneur se vouloit accoster d’elle, elle perseveroit en sa malice et injures pour occazionner ledit seigneur s’absenter d’elle  affin que le sieur vicomte de Paulin eust mieux l’entrée libre dans le chasteau de Reynies »

Les visites du vicomte.

Le vicomte de Paulin venait tantôt de nuit tantôt de jour. On nous dit qu’il  « caressoit, baisoit,  tastonnoit » la dame de Reyniès, « vivant avec elle avec toute sorte de privauté », « vivant avec elle aussy privemment que ung un mary avec sa femme », « il en jouissait charnellement comme si feust été sa femme ».

Le vicomte était  une fois « sy désespéré de son amour pour jouyr d’elle, il demura quatre  jours dans la tour du chasteau dud. Reynies apelée la tour du four ne mangeant que des confitures et attandant que le sieur de Reyniès s’en fusse allé. »

L’hiver précédent, la fille de chambre surprend le vicomte et sa maîtresse dans la chambre, La dame de Reyniès étant renversée sur une chaise et le vicomte « la  cognoissant charnellement. ». La servante appelle Anne de Latour pour qu’elle voie elle aussi la scène.

La promesse de mariage.

En février la dame de Reyniès montre à Anne de Latour un petit papier cacheté avec de la cire ardente et lui dit qu’il contient une promesse de mariage faite par le vicomte de Paulin. Anne de Latour lui dit que ce ne peut se faire puisqu’ils sont mariés et la dame de Reyniès lui répond que ce se fera après la mort de son mari.

Les complots.

Le vicomte de Paulin était  résolu, nous dit-on à plusieurs reprises de faire mourir le sieur de Reyniès. Il a été vu  un jour en embuscade près du moulin pendant que Pierre de Latour se promenait. Selon certains témoignages le baron de Panat était avec lui.

Sauveron parle même de projet d’empoisonnement.

Le problème du témoignage de Sauveron

La dame de Reyniès  a dit un jour que « ce coquin de Sauveron » avait publié partout qu’elle couchait avec son frère et que le baron de Panat pour sûr le tuerait. Il est possible que ce soit à l’origine d’un éventuel renvoi de Sauveron. Dans sa déposition la partie de la page où il aborde ce sujet est déchirée.

Il faut rappeler que sa déposition est plus tardive que les autres et reprend parfois mot pour mot des pans de phrases des autres témoignages et même des phrases entières.

Etait-il présent au moment des meurtres ? On peut se poser la question et son témoignage n’apporte aucun élément de plus dans le dossier.

2° Le soir du 9 juillet.

Là aussi, les faits semblent bien établis. Au soleil couchant (un des témoins dit vers sept heures du soir), le vicomte de Paulin et le baron de Panat accompagné de son valet se présentent au château. Ils viennent de Cestayrols. Le vicomte de Paulin n’a dû rejoindre le baron de Panat que depuis peu car il est établi qu’il est à Montauban depuis plusieurs jours.

Tout le monde soupe ensemble et chacun va se coucher. Madame de Reyniès demande à sa servante Catherine de se retirer « en la chambre du garde robe et luy blanchir un rabat » le baron de Panat se retire dans une chambre haute du château où son valet le déshabille et le met au lit. Le baron de Panat demande à Jean Carrière de porter ses « mulles de chambre » au vicomte de Paulin qui était dans une autre chambre. (Effectivement le vicomte de Paulin avait laissé ses mules dans sa chambre d’hôtel à Montauban ainsi qu’en fait foi l’inventaire de ses vêtements trouvés à l’hôtel) Carrière déshabille ensuite le vicomte et le met au lit.

Où est pendant ce temps le sieur de Reyniès ? Il est à Bonrepos, l’une de ses seigneuries. (Il s’agit de l’actuel Bonrepaux sur la commune de St Nauphary à quelques km au nord de Reyniès.) Il est avec Arnaud Houdin. Le soir venant le sieur de Reynès demande à Houdin et  quelques autres de « venir avec lui sans leur dire pour quel subject  et estant au lieu de Reyniès environ la minuit, ledit sieur de Reynies leur dict qu’il avoit eu le vand que le sieur de Paulin estoit au lict avec sa femme qu’il estoit la pour en savoir vérité ».

3° Les évènements de la nuit.

Les témoignages des domestiques sont un peu décevants. Ils n’ont rien vu et presque rien entendu

Catherine Dumayrou.

« Environ la minuit la desposante s’esveilhant en sursaut aiant esté surprize de son sommeil au bruict de quelque coup de pistolet et incontinent elle voyt entrer aud garde robe lad. dame luy dizant quelle estoit morte parce que le sieur de Reyniès l’avoit treuvée dans son lict couchée avec le viscomte de Paulin.Et a l’instant lad. dame étant toute en chemise dict a lad dep. qu’elle avoit sa liette ( ?) soulbz le mathelas du lict de son garde robe et luy demanda tres pressement de la cacher  et ne la bailher poinct aud. sieur de Reyniès. Elle que despose étant entrée dans la chambre de lad. dame, elle vist le sieur de Paulin estendu mort par terre sur la porte de lad. chambre ayant divers coups sur sa personne. Comme aussi vist que le viscomte de Panat  estoit estandu mort par terre sur la porte de lad chambre qu’il avoit couché ayant aussy divers coups sus sa personne et pareilhement vist lad. dame morte dans lad. garde robe ayant divers coups ne sachant par quy lesd. meutres auraient été arrivés. Bien a ouy dire que c’estoit led. sieur de Reyniès quy l’avoit fait pour avoir treuvé  lad. dame comme on dizait malversant avec led. sieur de Paulin. »

Jean Carrière.

« Environ la minuit, le desposant s’estant eveilhé au bruit de quelque  coup de pistolet, estant levé, il rencontra led. sieur de Reyniès qui le mena voyr le corps dud. sieur de Paulin estendu mort par terre de diverses blessures qu’il avoit estant sur l’entrée de la chambre basse et luy fist aussy voir le corps de dame de Reyniès sa femme ayant diverses blessures, disant led. sieur de Reyniès qu’il les avoit treuvés malversant ensemble dans laquelle chambre basse. Et au costé du lict de lad. dame de Reyniès, le desposant vist pour lors les mesmes mulles de chambre de son maistre qu’il avoit laissées le soir auparavant au près du lict dud. sieur de Paulin. Dizant aussy que vist le corps dud. sieur de Panat son maistre roide mort par terre a l’antrée de sa chambre ne sachant par quy cela auroit esté faict, sy ce n’est que l’on dizoit que c’estoit le seigneur de Reyniès qui l’avoit faict. »

Voilà des domestiques bien prudents dans leurs déclarations. Restent trois témoins à entendre.

Claude Denou,  Arnaud Houdin et David Bezes

Tous visiblement font partie du petit groupe qui a accompagné le sieur de Reyniès même si seul Houdin le déclare expressément. Nous mettrons à l’écart  le témoignage de Sauveron pour les raisons évoquées plus haut. Voici l’enchaînement des faits tel qu’on peut le reconstituer à partir de ces témoignages.

Le sieur de Reyniès entre dans la chambre où le vicomte de Paulin est couché avec sa femme, Le vicomte saute du lit et se jette contre lui l’épée nue à la main. Il lui  donne plusieurs (3 ou 4) coups d’épée le  blessant  en divers endroits. Néanmoins le sieur de Reyniès esquivant en partie les coups, se jette sur le vicomte et le tue avec son poignard. Ensuite, il va tuer sa femme qui s’était réfugiée dans la garde robe.

Le baron de Panat étant venu au secours, appelé par le vicomte de Paulin avant de mourir sort de sa chambre et se rue sur le sieur de Reyniès l’épée a la main mais le sieur de Reyniès  parant aux coups se jette sur le baron de Panat en lui donnant divers coups de poignard et le renverse mort.

Les témoignages sont concordants. Sont-ils complets ou même sincères pour autant ?

Autopsie des victimes

1° Le Vicomte de Paulin.

Le premier corps que Pierre Borie va examiner est celui d’ « un corps d’omme mort étendu sur le carreau n’ayant que la chemise sur icelluy lequel on disoit estre le viscomte de Paulin ».

Ce corps présente dix blessures :

-         une blessure profonde au cœur.

-         trois blessures au sternum longues de deux travers de doigt.

-         deux blessures au-dessous du diaphragme pénétrant la région du foie.

-         ung coup à  la partie dextre à quatre doigt au dessouls du tetin venant vers l’esternon de longueur de deux petits travers de doigt de proffondeur dans les poulmons ».

-        deux blessures au-dessous de la précédente, longues de deux travers de doigt et pénétrant dans le poumon.

-        Une plaie au bas-ventre longue de eux travers de doigt.

-        une plaie au bras gauche, pénétrant jusqu’au cubitus.

2° Madame de Reyniès.

Ensuite le chirurgien dans la garde-robe joignant la chambre. Il y trouve un corps de femme qu’il a « recogneu estre la dame Marguerite de Castelpers  femme audit sieur de Reynies »

Pierre Borie dénombre vingt-cinq blessures

Trois au niveau du visage

Une à l’épaule

Une au cœur

Cinq en divers endroits

Seize au  niveau des bras et des mains

Le visage :

-         Une plaie de la partie coronale jusqu’à la partie supérieure du nez de trois doigts de longueur.

-         Une plaie à la mandibule inférieure de deux travers de doigt de long pénétrant jusqu’aux alvéoles côté gauche.

-         Une plaie sur le pariétal gauche de trois travers de doigt de long pénétrant jusqu’au crâne

L’épaule :

-        Une plaie à l’épaule gauche près de la clavicule.

Le cœur :

-        Une plaie au cœur d’une longueur d’un travers de doigt

Blessures diverses :

-        Une plaie près du foie d’un doigt et demi de long « et de proffondeur jusques dans le ventre inferieur »

-        Plusieurs petits coups et plaies à la cuisse gauche, l’une pénétrant dans le périnée.

-        Trois plaies sur les reins, l’une du côté droit à deux doigts de la colonne vertébrale d’un doigt et demi de large  pénétrant jusques dans les vertèbres, les deux autres du côté gauche, l’une pénétrant dans le foie et l’autre dans le ventre inférieur.

Le bras et la main gauches :

-         Cinq plaies, trois pénétrant jusqu’aux os et les deux autres à quatre doigts du cubitus                          et quatre doigts de l’omoplate.

-         Une blessure au métacarpe pénétrant jusqu’aux os du poignet.

-         Une plaie sur l’index gauche pénétrant jusqu’à l’os.

-         Une plaie à cette même main coupant la seconde articulation du doigt.

La main droite :

-         Une plaie en travers des doigts qui coupe le pouce, l’index et le médius.

-         Une autre plaie sur le médius séparant le doigt qui ne teint plus que par la peau.

-         Une autre palie sur le médius pénétrant jusqu’à l’os.

-         Trois plaies sur le carpe, traversant la main.

-         Deux plaies au poing pénétrant jusqu’aux os.

Il apparaît très clairement que l’on s’est acharné sur Madame de Reyniès d’autant qu’elle n’était pas armée.

3° Le baron de Panat.

Pierre Borie termine par l’examen d’un autre corps mort d’homme trouvé dans un couloir du château à l’entrée d’une chambre.

Ce corps présente lui aussi de nombreuses blessures, il y en a  réparties sur tout le corps :

La tête :

-        Une plaie à la mandibule inférieur côté droit  de quatre travers de doigt de long et un travers de pouce de profondeur coupant l’os de la mandibule en la racine des dents.

Le thorax

-         Une plaie au-dessus du tétin pénétrant dans le thorax.

-         « une plaie en dessoubz du tétin dextre de longueur de deux travers de doigt et de profondeur jusques aux parties nobles région du cœur » (Avait-il le coeur à droite ?)

-         Une plaie au sternum longue d’un  travers de pouce.

-         Une plaie au niveau du foie d’un travers de pouce et pénétrant dans le ventricule inférieur.

-         Une plaie au côté droit à quatre doigts du nombril et pénétrant dans les intestins.

-         Une plaie au côté gauche d’un travers de doigt de long et pénétrant dans le ventricule.

-         Une plaie au côté gauche de deux travers de pouce de profondeur dans le foie.

-         Trois plaies sur le côté gauche pénétrant dans le thorax. 

-         Une plaie près des précédentes pénétrant dans les intestins.

-         Une plaie avec écorchures au niveau de l’omoplate de deux travers de pouce de large et de profondeur

Les bras et les mains :

-         Une plaie au bras gauche pénétrant jusque  dans le radius « sans yssue »

-         Une plaie sur le bras gauche à deux doigts au-dessus du cubitus d’un travers de pouce de long et pénétrant jusqu’à l’os.

-         Une plaie (page déchirée) de deux travers de doigt et pénétrant jusqu’à l’os.

-         Une plaie en-dessous du cubitus de (…) de long  et pénétrant jusqu’aux os.

Le chirurgien conclut  que toutes les blessures qu’il a constatées sur les trois corps qu’il a examiné ne peuvent provenir que de coups  d’épée ou de poignard.

Et le sieur de Reyniès ?

Il n’est pas loin, il est au château mais dans un état grave. Il est blessé et c’est pourquoi il a été fait appel aux services du chirurgien Pierre Borie. Celui-ci était le matin du 10 juillet à Orgueil (village voisin de l’autre côté de la rivière) pour affaires privées. Il écrit : « adverty de l’accidant qu’estoit arrivé dans le chasteau de Reynies la nuict précédante et voyant plusieurs personnes s’en aller audit Reyniès, je m’y serois aussi apporté »

Il  ajoute que vers midi, le sieur de Reynès l’a requis «  luy visiter et mediquementer certains coups qu’il avoit reçu en sa personne. » Ca peut sembler être  en contradiction avec ce qui est dit plus haut, puisque le juge dit que c’est lui-même qui a chargé Borie de « visiter » le sieur de Reyniès mais en fait Borie avait déjà examiné le blessé et n’a plus eu qu’à écrire son rapport.

Borie constate trois contusions à la tête. La première sur la partie coronale droite longue de trois travers de doigt, la seconde toujours à droite à la limite du pariétal et de l’occipital droite et la troisième sur le pariétal gauche. Les deux dernières sont longues de deux travers de pouce.

Toujours sur la tête, une plaie  sur la tempe gauche longue d’un travers de pouce et pénétrant sous le derme et l’épiderme.

Ensuite, viennent une série de plaies au bras et à la main gauches. L’une en haut du bras longue de trois travers de doigts et d’un travers de pouce de profondeur, une autre à l’intérieur la main gauche, une au médius de la même main qui est traversée et enfin deux plaies au pouce gauche.

Là aussi, Borie estime « les susdites playes et contusions cy dessus avoir esté faictes avec espées, poignard ou autres choses ayant vertu et faculté de faire telles playes »

Il dit que le blessé souffre beaucoup et qu’on ne peut se prononcer avant une semaine car il y a des risques de complication

Questions

De nombreuses questions se posent :

Il n’est nulle part fait allusion à Anne de Latour, la future Madame de Gironde. Et pourtant Tallemant des Réaux la place dans les bras de sa mère lorsqu’elle tente d’échapper à Pierre de Latour. L’acharnement du meurtrier sur ses mains corrobore néanmoins une partie du récit tiré des Historiettes.

La femme de chambre et le valet disent avoir été réveillés en sursaut par un coup de pistolet. Qui l’a tiré ? Aucun des témoins de la scène ne parle d’arme à feu et le chirurgien est formel : les blessures qu’il a examinées sont toutes dues à des armes blanches.

Pourtant, les deux témoignages des domestiques concordent. Une hypothèse parmi d’autres possibles : Pierre de Latour arrive avec sa suite au château, ouvre la porte de la chambre et tire un coup en l’air avant de s’attaquer au vicomte de Paulin.

On peut aussi imaginer que le coups de pistolet ait été tiré par le vicomte de Paulin. Ca aurait été un signal destiné à avertir le baron de Panat. Car, il est établi que le vicomte de Paulin a appelé le baron de Panat à sa rescousse. Si ça avait été des cris, les domestiques les auraient entendus en plus du coup de pistolet.

Si l’on s’en tient au témoignage de Catherine Doumayrou ou celui de Jean Carrière, tout semble s’être déroulé très rapidement. Jean Carrière nous dit se réveiller, sortir de sa chambre et tomber sur le sieur de Reyniès qui semble avoir déjà tué ses victimes. Peut-être le coup de pistolet a t-il été tiré après les meurtres mais dans ce cas pour quelle raison ?

Le sieur de Reynès était-il seul ? Tallemant des Réaux dit qu’il fit tuer sa femme par des valets. Sur ce point précis, il semble bien qu’il ait été seul mais face au vicomte de Paulin, les personnes qui l’accompagnaient sont-elles restées simples spectatrices comme elles semblent dire l’avoir été ? Un homme seul armé d’un unique poignard peut-il avoir causé toutes ces blessures ? La rage d’un mari trompé peut l’expliquer, notamment l’acharnement sur le corps de Mme de Reyniès.

Les domestiques si prolixes sur ce qui a précédé les meurtres sont très évasifs dans leur récit des évènements de la nuit. Attitude prudence de la part de serviteurs qui n’ont pas à se mêler des affaires des maîtres ?

Il sera possible de répondre à certaines de ces questions mais il restera toujours des zones d’ombres dans ce qui est un des faits divers les plus sensationnels de l’époque.

Conclusions

La suite de la procédure n’a pas encore été retrouvée. Les recherches sur cette affaire ne font que commencer. Ce qui est certain c’est que Pierre de Latour obtint des lettres de rémission. Il mourut assassiné le 15 juillet 1623 à Mézin (Lot et Garonne)

Quoi qu’il en soit, Pierre de Latour n’est pas au bout de ses peines car le 16 juillet 1616 soit six jours à peine après le drame, la justice s’intéresse à une de ses possessions rouergates, le château de Jalenques près de Naucelle. Ce château fait l’objet d’une longue dispute entre lui et la famille de Rollet, seigneurs de Jalenques. Au cours de la visite du château, on va découvrir sous un meuble un passage secret menant à une pièce souterraine abritant un atelier de fausse monnaie. Là encore des documents passionnants ont été retrouvés.

Ce sera l’objet d’une prochaine étude.

Annexe

 

Tallemant des Réaux à la suite de son récit sur Madame de Reyniès consacre un petit paragraphe au baron de Panat :

Le baron de Panat étoit un gentilhomme huguenot d'auprès de Montpellier, de qui on disoit: Lou baron, de Panat, puteau mort que nat, c'est-à-dire plutôt mort que né;, car on dit que sa mère, grosse depuis près de neuf mois mangeant du hachis, avala un petit os qui, lui ayant bouché le conduit de la respiration, la fit passer pour morte; qu'elle fut enterrée avec des bagues aux doigts; qu'une servante et un valet la déterrèrent de nuit pour avoir ses bagues, et que la servante, se ressouvenant d'en avoir été maltraitée, lui donna quelques coups de poing, par hasard, sur la nuque du cou, et que les coups ayant débouché son gosier, elle commença à respirer, et, que quelque temps après elle accoucha de lui, qui, pour avoir été si miraculeusement sauvé, n'en fut pas plus homme de bien. Au contraire, il fut des disciples de Lucilio Vanini, qui fut brûlé à Toulouse pour blasphèmes contre Jésus-Christ. Il retira Théophile, et pensa lui-même être pris par le prévôt. C'étoit un fort bel homme. Madame de Sully, qui vit encore, en devint amoureuse, et lui demanda la courtoisie. On dit qu'il répondit qu'il étoit impuissant. Cependant il étoit marié; mais Madame de Sully, qui n'étoit pas belle, ne le tenta pas, et il s'en défit de cette sorte.


Sources :

Sources imprimées

Tallemant des Réaux,  Historiettes.

F. Bousquet,   Montredon, Essai d’histoire d’une commune de France.

A. Vidal, Les vicomtes et la vicomté de Paulin.

R. Sicard, Lombers, histoire d’une ville cathare et calviniste.

H de Barrau, Documents historiques et généalogiques sur les familles et les hommes remarquables du Rouergue.

Y. du Guerny,   Inventaires des archives du Château de Reyniès.

Sources d’archives :

Archives de Comte :

10 juillet 1616

Enquête judiciaire.

Interrogatoires de divers témoins.

Rapport d’autopsie des victimes.

Rapport médical concernant le sieur de Reynès.

13 juillet 1616

Interrogatoire de Pierre Sauveron. 

29 juillet 1616

Etat des dépenses occasionnées suite au décès du vicomte de Paulin entre les 10 et 29 juillet.

Inventaire des objets et effets trouvés dans la chambre d’hôtel du vicomte de Paulin à Montauban

Liasse de documents concernant les dettes contractées par le vicomte de Paulin à Montauban dans les jours qui ont précédé sa mort.

Sans date

Inventaires des pièces de procédure

 

Remerciements:

 Je remercie tout particulièrement Mme Sylvie de Comte pour avoir permis l’accès à ces documents ainsi que d’en avoir autorisé l’exploitation.

Je remercie aussi M Jean Louis Dega dont les connaissances en matière de généalogie des familles nobles de la région m’ont beaucoup aidé.