Les malheurs d’un vicaire de Rongas (1737)

 
François Julien est curé de St Maurice de Rongas depuis le début de 1736. En cette fin d’année 1737 il a 36 ans. Il se dit curé mais dans la réalité il est vicaire perpétuel, sa paroisse est une annexe de St Gervais prieuré qui à cette époque dépend de l’abbaye de Villemagne 
Il restera en fonction à Rongas jusqu’en octobre 1742. 
Son arrivée n’est pas appréciée de tous, il est en butte avec quelques habitants de Rongas qu’il qualifie de mutins et de cabales. Pourquoi cette opposition ?
Il a décidé d’appliquer strictement les ordonnances  provinciales  (en particulier du lieutenant général le marquis de la Fare) sur les assemblées nocturnes,  les chansons de nuit dans les rues et la fréquentation des cabarets aux heures des offices des dimanches et des fêtes.
Tout naturellement, en représailles il est en butte à l’hostilité de la jeunesse
 
Le mercredi 27 novembre 1737 il se présente devant le viguier de St Gervais Jacques Portalon
Il dénonce le harcèlement dont il est victime de la part de paroissiens qui l’insultent par des paroles , outrageantes des chansons profanes qu'ils accoutument de venir chanter sous sa fenêtre pendant la nuit en le nommant dans les paroles
 
Dans la nuit du samedi 23 au dimanche 24 dernier ils vinrent bloquer la maison du plaignant dont ils fermèrent la porte avec une barre ou une corde pour empêcher qu'il ne pût sortir.
 
Et le même jour dimanche vers huit heures du soir ils commencèrent à chanter des chansons profanes devant sa maison jusqu'à la pointe du jour du lundi faisant un grand carillon avec des pierres afin de l’empêcher de dormir et l'obliger à se lever du lit dans la rue  et sans doute de le maltraiter
Ils ont continué les mêmes assemblées la nuit du lundi jour suivant et jetant des pierres aux fenêtres  et sans doute qu'ils continueront les mêmes insultes si il n'y est pourvu de sorte que le plaignant qui ne serait pas en sureté dans sa maison et qui est journellement insulté parce qu'il veut remplir les devoirs de son ministère et faire exécuter les ordonnances de monseigneur marquis de la Fare.
 
Jusqu’ici aucun officier de justice aucun consul n'a voulu s'informer.
Il porte plainte et demande justice contre 8 personnes de la paroisse « les plus mutins dans les assemblées » :
Antoine Roques garçon maçon restant avec Rivemale de Rongas
Pierre combes dit Longou
Jean Jacques Loubet dit Donnac
Jean et Etienne Abbal frères de Rongas
Pierre Pic berger de Jean Mas
Jean Jacques Bonnet
Jean Loubet du masage de Salles
 
Le mercredi 28 novembre sont convoqués 5 témoins :
André Austry, Jean Jacques Mas, André Enjalbert, Jacques Saury, Pierre Austry et Pierre Combes.
Tous habitent près ou sur la place, donc voisins immédiats du curé, ils ne peuvent se défiler.
Leurs témoignages vont être assez imprécis. Comme d’habitude, du simple fait que les évènements soient nocturnes, les témoins n’ont pas pu bien voir ni reconnaître personne. Il est néanmoins étonnant que certains disent avoir cru reconnaître la voix d’un tel ou untel.
Néanmoins, ces témoignages permettent de préciser les faits. Plutôt qu’une synthèse, voici le résumé de chaque déposition
André Austry, brassier de Rongas, 48 ans
Dans la nuit de dimanche à lundi, il était dans son lit et a entendu des jeunes hommes chantant des chansons profanes dans lesquelles on nommait M° Julien,. Is sont repassés vers 5 h du matin mais ne peut les reconnaître car chantaient ensemble et n’a pu distinguer les voix
 
Jean Jacques Mas, fils de Jacques, brassier de Rongas, 30 ans
Dimanche dernier vers 7 h du matin, il était à sa fenêtre et s'aperçut qu'on avait bloqué la porte de M° Julien curé de Rongas au moyen d'une corde et d'une barre qu'on y avait attaché. Le nommé Augé du Cros fut obligé d'ôter la barre et la corde pour que le curé puisse ouvrir sa porte.
Le même soir de dimanche il aurait entendu plusieurs jeunes hommes qui chantaient des chan sons profanes dans lesquelles on entendait le nom du curé et cela près de la maison presbytériale et a plusieurs reprises n'ayant pu distinguer qui faisait du bruit a cause qu'il était au lit.
Le lendemain lundi au soir sur les 7 heures il aurait également entendu chanter les mêmes chansons et aurait reconnu la voix que de Jacques Bonnet et Jacques Loubet de Las Salles.
 
Et le lendemain mardi au soir aurait entendu le même bruit et les  mêmes chansons nommant ledit Julien et alors il entendit qu'on jetait des pierres aux fenêtres du curé qui appelait  les voisins d'être mémoratifs des insultes qu'on lui faisait, le déposant ajoute qu'il a reconnu à la voix ce soir-là Jean Loubet, Jean Abbal et Pierre Pic berger de Jean Mas
 
 
André Enjalbert, brassier de Rongas, 30 ans
Dimanche dernier à deux heures du matin étant chez Louis Mounis, il entendit qu’on chantait devant le presbytère des chansons profanes. Il n’a pas reconnu qui c'était. Il est sorti avec Mounis après que le bruit ait cessé.
Il est allé ensuite chez Combes hôte de Rongas et y a trouvé Jean Loubet et Jean Jacques  Bonnet du mas de Las Salles, Pierre Combes dit Langarou, Pierre Pic berger du sr Mas, Antoine Roque garçon de Rivemalle, les Abbal frères et Jean Jacques Loubet tous habitants de Rongas qui disaient à l'hôte de leur apporter de quoi a ressouper et  dirent alors qu'ils voulaient aller donner une sérénade.
 
 
Jacques Saury, brassier de Rongas, 60 ans
Dimanche dernier, il était dans son lit, quand il a entendu un grand bruit près du presbytère ainsi que des chansons profanes dans lesquelles on nommait le curé.
Il les entendit à trois différentes reprises, Il n’a pas pu reconnaitre qui chantait mais on criait fortement contre monsieur  le curé et a oui dire que le mardi soir on a jeté des pierres aux fenêtres du curé et que Pierre Pic y était
 
 
 
Pierre Austry, brassier de Rongas, 32 ans
 
Dimanche dernier, il était dans son lit lorsqu’il a entendu un grand bruit sur la place
On y chantait des chansons profanes dans lesquelles on nommait m° Julien curé et que le lundi et le mardi au soir il aurait entendu le même bruit et que cette dernière nuit de mardi on jetait des pierres mais il n’a pas reconnu qui c'était.
Il lui sembla (mais il n’en est pas sûr) entendre la voix de jacques Bonnet et Jean Loubet de Les Salles.
 
 
Pierre Combes, fils de Pierre, de Rongas, 41 ans
Dimanche dernier vers 7 h du matin, passant près du presbytère il a vu qu'on avait bloqué la porte du presbytère avec une barre et une corde et que Lauger du Cros avait ôté barre et la corde pour que le curé puisse sortir.
Le même jour de dimanche, lundi et mardi au soir Antoine Roques garçon maçon habitant chez Rivemale de Rongas, Pierre Combes dit Langeaon, Jean Jacques Loubet dit Donnat, Jean et Etienne Abbal frères de Rongas, Pierre Pic berger de Jean Mas, Jean Jacques Bonnet et Jean Loubet de Salles soupèrent chez le déposant après quoi ils sortirent et le dimanche au soir ils revinrent souper chez lui pour la seconde fois.
 
Le 28 novembre Julien écrit au subdélégué de Boissezon de  Castres, il joint copie de l’enquête. Il se plaint des mauvais traitements et des insultes qu’il reçoit tous les jours de la part de quelques-uns de ses paroissiens. Le désir de paix et l'état qu'il a  embrassé l'ont empêché de rapporter les premiers faits. Sa bonté a produit un effet funeste.
Il supplie l'intendant de le prendre sous sa protection et de punir les coupables comme ils le méritent
La procédure montrera les excès que les paysans portent contre lui et le danger ou il est exposé du fait de leur impunité.
 
Le 2 décembre après avoir étudié le dossier, le subdélégué écrit à l’intendant :
« Ce pauvre curé est exposé aux insultes de ces sortes de gens, la jeunesse semble l'avoir pris à guignon sans fondement »
Pour lui les seuls coupables sont :
Jean Jacques Bonnet, Jean Loubet du mas de Lassales Jean Abbal, Pierre Pic gardien du troupeau de Jean Mas, Pierre Combes dit Langrou et Antoine Roques garçon maçon habitant chez Rivemale de la paroisse de Rongas
(Le curé dans sa plainte parle aussi d’Etienne Abbal)
 
La suite (s’il y a eu une suite) n’est pas connue.[1]
 
Quelques remarques sur cette affaire
 
Cette affaire présente des aspects similaires à d’autres types d’affaires dans lesquels « la jeunesse » est impliquée comme charivaris, courses à l’âne, etc…)
Il y a d’abord la nature des actions : les chansons nocturnes et surtout l’acharnement sur les portes et les fenêtres de ceux qui ont transgressé les lois non écrites de la communauté villageoise.
Et puis il y a le repas en commun avant ou après les actions (on aura compris que Pierre Combes est un hôte[2].)
 
Mais qui sont les opposants ?
Les statuts sociaux des personnes impliquées ne sont pas connus pour tous : un berger, un garçon maçon, mais les autres ? Ils sont tous de la paroisse, certains de Rongas proprement dit, d’autres des Salles. La consultation du relevé des BMS ne permet pas d’en savoir plus sur ces huit personnes.
Qui commande ?
En général les chefs de jeunesse (cap de jovent) sont de statut social plutôt aisé, fils de notables, d’artisans aisés, etc..) Mais sans précisions sur les impliqués, il est impossible en l’état de donner une réponse.
 
Seul le dépouillement de la justice de la viguerie de St Gervais permettrait d’en savoir plus.


[1] Voir éventuellement aux ADH : Justice de St Gervais – Procédures 1736-1738  (cote 10 B 1423-23)
 
[2] Ce que confirme son acte de décès du 9 mai 1741 à Rongas (relevé des BMS par Alain Salles)